In the Picture

Version pdf Archives Inscrivez-vous

Regardez avant de sauter! Les leçons de l'échec du mariage Illumina-GRAIL

Novembre 2023

Une startup n'a pas encore commercialisé de produit et n'a pas de chiffre d'affaires dans l'EEE. Néanmoins, lors de l'acquisition de la startup, la Commission européenne demande que cette acquisition lui soit notifiée pour approbation préalable. Que faire?

Quelques précisions.

En 2020, Illumina, une société de biotechnologie bien établie sur le marché, souhaitait acquérir la prometteuse start-up GRAIL, une société active dans le domaine de la détection précoce du cancer. Au moment de l'acquisition, GRAIL n'avait aucun produit sur le marché et ne réalisait aucune vente dans l'EEE. La notification du projet de concentration à la Commission européenne ou à un État membre de l'UE ne semblait donc pas être nécessaire. Néanmoins, en 2021, Illumina a reçu une demande de la Commission l'invitant à notifier l'opération.

Cette demande trouve son explication à l'article 22 du règlement européen sur le contrôle des concentrations. Cette disposition prévoit que la Commission peut examiner une opération à la demande d’autorités nationales de la concurrence, lorsque cette opération (i) affecte le commerce entre États membres et (ii) menace d'affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formule(nt) la demande. Et ce, même si cette opération n'atteint pas les seuils nationaux de contrôle des concentrations.

Depuis peu, la Commission encourage ces demandes de renvoi. Elle souhaite en particulier empêcher les killer acquisitions, par lesquelles des acteurs établis acquièrent des start-ups innovantes afin d'éliminer rapidement de futurs concurrents. Les killer acquisitions échappent souvent à l'obligation de notification parce que les startups n'ont généralement pas ou peu de chiffre d'affaires, ce qui fait qu'elles n'atteignent pas les seuils de notification. Cela peut également être le cas pour les entreprises du secteur numérique et celles qui ont accès à des facilités essentielles. Pour ces entreprises, le chiffre d'affaires ne reflète pas nécessairement leur potentiel concurrentiel.

Illumina a fait appel de la demande de la Commission de notifier l'acquisition de GRAIL. Toutefois, le Tribunal de l'UE a confirmé la position de la Commission, après quoi Illumina a introduit un pourvoi devant la Cour de justice, où l'affaire est toujours pendante.

Illumina avait entretemps notifié l'acquisition de GRAIL à la Commission. Cependant, pendant l'enquête de la Commission, elle a annoncé qu'elle avait conclu l'acquisition. Ce faisant, Illumina et GRAIL ont enfreint l'obligation de statu quo. Cette obligation interdit aux entreprises de mettre en œuvre des opérations de concentration avant leur autorisation par la Commission. Elle permet à la Commission d'examiner les concentrations avant qu'elles ne modifient structurellement le paysage concurrentiel.

Illumina et GRAIL se sont donc sciemment livrées à du gun jumping. Pour cette raison, la Commission a infligé une amende record de 432 millions d'euros à Illumina et une amende symbolique de 1000 euros à GRAIL. Illumina a également fait appel de cette décision.

En outre, à l'issue de son enquête, la Commission a refusé d'approuver l'acquisition parce qu'elle menaçait d'avoir des effets négatifs importants sur la concurrence. Illumina a également fait appel de cette décision de refus.

Entre-temps, la Commission a ordonné à Illumina de revendre GRAIL et de rétablir la situation telle qu'elle existait avant l'acquisition. Si Illumina ne respecte pas ces mesures correctives, la Commission pourrait lui imposer des astreintes pouvant atteindre 5% de son chiffre d'affaires journalier moyen et lui infliger une amende pouvant aller jusqu'à 10% de son chiffre d'affaires annuel mondial. Illumina a déclaré qu'elle céderait GRAIL dans les 12 mois si elle n'obtenait pas gain de cause en appel.

Concrètement.

  • La Commission peut examiner les projets de concentration qui ne dépassent pas les seuils de chiffre d'affaires communautaires ou nationaux.
  • Ainsi, la Commission peut repérer les opérations dans lesquelles le chiffre d'affaires d'au moins une des entreprises concernées ne reflète pas son potentiel concurrentiel. Par exemple, la Commission peut examiner s'il s'agit d'une killer acquisition, où un acteur établi veut éliminer un futur concurrent en l'acquérant lorsque ce concurrent est encore une startup dont le chiffre d'affaires est faible ou nul.
  • Illumina/GRAIL réaffirme que la mise en œuvre d'une concentration avant son autorisation peut donner lieu à des amendes particulièrement élevées pour gun jumping. L'amende infligée à Illumina est la plus élevée jamais infligée pour gun jumping. C'est également la première fois que la Commission inflige (symboliquement) une amende à la société cible pour avoir sciemment coopéré à l'infraction.
  • Illumina/GRAIL a également confirmé la volonté de la Commission d'exercer son pouvoir d'ordonner des mesures correctives et d'exiger des entreprises concernées qu'elles annulent la concentration.

Plus d’infos?

Vous trouverez le règlement sur le contrôle des concentrations ici, la communication de la Commission sur le renvoi des affaires en matière de concentrations ici, ainsi que la communication de la Commission sur l'application du mécanisme de renvoi établi à l'article 22 du règlement sur le contrôle des concentrations ici.

Il existe plusieurs communiqués de presse sur la saga Illumina/GRAIL: sur l'arrêt du Tribunal ici, sur la décision de refus ici, sur la décision d'amende ici, et enfin sur les mesures correctives imposées ici.

De plus amples informations sur le gun jumping sont également disponibles dans les précédentes éditions de In The Picture:

  • Gun Jumping ? Ne quittez pas trop vite les starting-blocks lors d'une acquisition! (ici)
  • 3, 2, 1… PARTEZ! (ici)

Pour plus de détails ou toutes questions, nous vous invitons à consulter notre site web ou à contacter notre équipe :

Close