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Mon image de marque vole en éclat à cause des ventes en ligne… Que faire ?

Avril 2018

Imaginez...

Depuis des années, vous façonnez une image de marque luxueuse de vos Montres d’Exception. Vous exigez de vos distributeurs une boutique qui respire la classe ainsi que la présence de personnel formé pour dispenser des conseils professionnels aux clients. C’est crucial pour le business model de votre entreprise, qui se concentre sur la qualité du produit et sur l’excellence du service plutôt que sur la compétitivité de ses prix.

Depuis peu, les chiffres des ventes reculent toutefois fortement. Une étude de marché révèle que les acheteurs de Montres d’Exception considèrent de moins en moins cet accessoire comme un produit de luxe. La vente sur des plateformes en ligne semble notamment nuire à l’image de luxe des montres. Le caractère luxueux des montres s’y reflète beaucoup moins et la différence de prix par rapport aux autres montres y est particulièrement évidente pour le consommateur.

Selon votre équipe de marketing, une interdiction temporaire des ventes en ligne, soutenue par une campagne promotionnelle agressive, pourrait cependant rendre à vos Montres d’Exception leur image de marque.

Vous soumettez ce plan au département juridique, qui hisse immédiatement le drapeau rouge. D’un point de vue contractuel, une telle interdiction est en effet impossible à mettre en place et constitue par ailleurs une infraction grave au droit de la concurrence.

Vous n’y comprenez plus rien. Vous avez tout de même le droit de décider où et comment vendre vos produits, non ? N’y a-t-il aucun moyen d’empêcher vos articles de luxe d’être vendus comme des produits au rabais ?

Quelques explications.

En principe, tout distributeur doit avoir le droit de vendre des articles en ligne. Un producteur peut toutefois imposer des conditions qualitatives à ses distributeurs pour la vente de ses produits. Et ce, qu'il s’agisse de vente offline ou online.

Les conditions qualitatives jouent en effet un rôle déterminant dans les réseaux de distribution sélective.

Dans l’affaire Pierre Fabre, la Cour a conclu que ces conditions qualitatives ne pouvaient pas entrainer une interdiction générale des ventes en ligne pour les distributeurs agréés, même si celle-ci a pour but de maintenir l’image prestigieuse des produits concernés.

Récemment, dans le cadre d’un réseau de distribution sélective, la question a été soulevée de savoir si un producteur avait le droit d’interdire à ses distributeurs agréés de vendre les produits contractuels par l’intermédiaire de plateformes en ligne de tiers, comme Amazon Marketplace, bol.com ou encore eBay. Contrairement à une interdiction totale de la vente en ligne, les distributeurs agréés restent, dans ce cas, en mesure de vendre leurs produits en ligne par le biais de leur propre site Internet.

Dans l’affaire Coty, la Cour de Justice a conclu qu’une interdiction pour les distributeurs agréés de vendre des produits de luxe par l’intermédiaire de plateformes en ligne de tiers était une condition qualitative qui n’entravait pas la concurrence. L’interdiction est de nature à assurer l'image de luxe des produits et par ailleurs, elle ne dépasse pas les mesures nécessaires pour atteindre cet objectif. En effet, les distributeurs agréés ont toujours la possibilité de vendre les produits sur leur propre site Internet. Selon la récente enquête sectorielle sur le commerce électronique de la Commission Européenne, il s’agit encore du principal canal de vente en ligne, et de loin.

Enfin, la Cour conclut que l’interdiction pour les distributeurs agréés de vendre leurs produits sur des plateformes en ligne de tiers ne constituait pas une restriction caractérisée de la concurrence. Si une telle interdiction venait malgré tout à restreindre la concurrence (par ex. : parce que les propriétés du produit en question ne nécessitent pas une distribution sélective), une exemption par catégorie ou individuelle de l’interdiction des restrictions de la concurrence resterait donc toujours possible.

Bref, rendre leurs lettres de noblesse à vos Montres d’Exception par une interdiction de la vente en ligne n’est pas permis. Vous pouvez toutefois exiger de vos distributeurs agréés qu’ils ne recourent pas à des plateformes en ligne de tiers dont l’intervention est visible pour le client.

Concrètement.

  • Ne soumettez vos distributeurs à aucune interdiction générale de vendre vos produits en ligne.
  • Toutefois, vous pouvez toujours imposer des critères de qualité à cette vente en ligne.
  • Vous pouvez interdire à vos distributeurs agréés de les vendre sur des plateformes en ligne de tiers dont l’intervention est visible pour le client, sans que cela ne constitue une restriction caractérisée de la concurrence.
  • Si vous mettez en œuvre un réseau de distribution sélective de qualité, une telle interdiction n’entrave pas la concurrence.
  • Assurez-vous toujours que le dispositif contractuel applicable permet la mise en oeuvre  d’une telle interdiction.  

Pour approfondir.     

  • Arrêt de la Cour de Justice du 13 octobre 2011, n° C-439/09, EU:C:2011:649, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique.
  • Arrêt de la Cour de Justice du 6 décembre 2017, n° C-230/16, EU:C:2017:941, Coty Germany.
  • F. Wijckmans et F. Tuytschaever, Vertical Agreements in EU Competition Law (3e ed., Oxford, OUP 2018), comportant entre autres un chapitre sur l’e-commerce.
  • Frank Wijckmans, « Coty Germany GmbH v Parfümerie Akzente GmbH: Possibility in Selective Distribution System to Ban Sales via Third-Party Platforms », Journal of European Competition Law & Practice.
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