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Quelle était l'ampleur du préjudice que j'avais subi suite au cartel, encore ?

juin 2019

Imaginez…

Vous êtes distributeur de panneaux solaires. Un beau matin, vous lisez dans le journal que la Commission européenne inflige une amende sévère aux membres d'un cartel de panneaux solaires. Il s'avère que l'un des membres à qui cette amende est imposée est votre fournisseur et qu’il est montré du doigt comme l'un des instigateurs du cartel.

C'est tout sauf positif pour la réputation de votre entreprise. Vous craignez non seulement une baisse de vos ventes, mais vous avez en outre indubitablement surpayé votre fournisseur pendant le cartel. Le journal évoque un cartel de plus de 7 ans !

Vous ne voulez pas laisser la situation en l'état. Vous engagez un avocat en vue de vous faire indemniser du préjudice subi. Celui-ci vous prévient toutefois immédiatement que le chemin sera long et qu'il est possible que vous ne voyiez jamais la couleur du premier euro.

Vous êtes abasourdi. Comment ça, le chemin sera long ? Comment ça, pas le moindre euro ? Il est clair que vous avez subi un préjudice et qu'il doit être indemnisé, non ?

Quelques précisions...

Les victimes d’une infraction au droit de la concurrence ont droit à une indemnisation complète du préjudice subi. Comme toute partie qui réclame des dommages-intérêts, elles doivent à cet effet prouver qu'il y a une infraction, que celle-ci leur a causé un préjudice et qu'il existe un lien de causalité entre l’infraction et ledit préjudice.

Les victimes d’une infraction au droit de la concurrence ont manifestement une longueur d'avance à cet égard. La Directive relative aux actions privées en dommages et intérêts, désormais transposée en droit national dans les États membres de l'UE, prévoit en effet une présomption qu'un cartel a causé un préjudice. La victime d'un cartel, telle que notre distributeur de panneaux solaires, peut donc se concentrer sur la quantification du préjudice.

En pratique, cette quantification sera tout sauf une sinécure. Comment établir la différence chiffrée entre la situation dans laquelle vous vous trouvez actuellement et la situation dans laquelle vous seriez si le cartel n'avait jamais vu le jour? Est-ce que le prix plus élevé que vous avez payé (le « surcoût ») résulte exclusivement du cartel ou d'autres facteurs entrent-ils également en ligne de compte ? Quid si vous avez répercuté sur vos clients le surcoût causé par le cartel ?

La Commission européenne a publié une communication et un guide pratique relatifs à la quantification du préjudice subi, ainsi qu'une étude sur la répercussion des surcoûts, destiné à guider les victimes d’infractions au droit de la concurrence. Ceux-ci ne sont certes pas contraignants pour un juge, mais constituent un bon point de départ en vue de la quantification du préjudice.

En règle générale, cette quantification du préjudice s'opère sur la base de l'une des trois méthodes économiques suivantes : la méthode « avant-après », la méthode du produit comparable ou du marché géographique comparable, ou encore la combinaison des deux premières méthodes. La première approche établit une comparaison entre le prix des panneaux solaires avant le cartel et celui pendant le cartel. La deuxième approche repose sur une comparaison entre le prix des panneaux solaires pendant la période infractionnelle et le prix sur un marché de produit comparable (ou sur un marché géographique comparable) sur lequel aucune infraction n'a été commise. La troisième approche combine la comparaison des prix dans le temps et entre les marchés.

Dans la pratique, les parties feront souvent appel à des économistes en vue d'appliquer ces méthodes. La partie demanderesse peut le faire, tout comme l'auteur de l’infraction, notamment afin d’invoquer l'argument de la répercussion des surcoûts (passing-on defense). De cette manière, l'auteur de l’infraction tentera de démontrer que la partie demanderesse avait répercuté les surcoûts sur ses clients et n'a donc subi aucun préjudice personnel. D'après la Directive relative aux actions privées en dommages et intérêts, la charge de la preuve incombe à l'auteur de l’infraction.

Le juge tranchera finalement la question de la quantification du préjudice. Inutile de préciser que la difficulté de la quantification du préjudice n’épargne également pas les juges. À l’instar des avocats, les juges ne sont pas, en règle générale, des experts économiques. Il incombe dès lors aux parties de présenter au juge leur quantification du préjudice subi au moyen de démonstrations claires et lisibles.

Conformément à la Directive relative aux actions privées en dommages et intérêts, le juge dispose également de certains instruments pour la quantification du préjudice. Le juge peut demander l'assistance de l'autorité nationale de la concurrence afin de déterminer le montant du préjudice subi. Il peut également ordonner la production de documents qui pourraient s'avérer utiles en vue de déterminer ce montant. Enfin, il est également compétent pour estimer le préjudice en équité, s'il s'avère que la partie demanderesse a subi un préjudice, mais qu'il est pratiquement impossible ou excessivement compliqué d'en estimer le montant sur la base des éléments probants disponibles.

Concrètement :

  • Les actions privées en droit de la concurrence n'en sont encore qu'à leurs balbutiements, surtout en ce qui concerne la quantification du préjudice.
     
  • Il existe une présomption légale réfragable selon laquelle un cartel cause un préjudice. Cette présomption porte uniquement sur l'existence du préjudice et non sur son étendue. La partie demanderesse doit prouver l'étendue dudit préjudice.
     
  • Cette preuve est tout sauf simple à fournir. La Commission européenne a publié des documents destinés à familiariser les victimes d’infractions au droit de la concurrence avec la quantification du préjudice.
     
  • Dans la plupart des cas, il sera fait appel à des économistes. Il convient de soumettre une analyse économique de manière intelligible au tribunal.
     
  • Le juge peut estimer le préjudice subi en équité si l’existence d’un préjudice est établie, mais qu'il ne peut être quantifié ou ne peut l'être précisément.

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